Anthropologie du déchet plastique

Anthropologie du déchet plastique

L’équipe d’UnGestePourLaMer a rencontré Géraldine Le Roux, co-directrice du département d’ethnologie à l’Université de Bretagne Occidentale. Anthropologue et commissaire d’exposition, spécialiste notamment du recyclage artistique des filets de pêche perdus (Ghost nets), elle étudie ce que l’objet d’art dit de la relation entre l’humain et le non-humain, entre l’homme et la nature. 

Géraldine observe depuis des années l’engouement citoyen autour des collectes de déchets sauvages, phénomène largement démultiplié par les réseaux sociaux qui offrent une caisse de résonnance à ces actions. 

On note désormais une pluralité d’acteurs et des modalités de collectes particulièrement variées. Les associations sont parvenues à apporter une dimension ludique. Les collectes s’inscrivent aujourd’hui dans des cadres extrêmement variés : sportifs, artistiques ou même ornithologiques. 

L’éco-angoisse (“Solastalgie”) gagne de plus en plus de citoyens lorsqu’ils prennent conscience des dures réalités environnementales. La collecte s’avère alors un moyen de réduire ces troubles car les volontaires se sentent acteurs, ils ont le sentiment de pouvoir agir et leur angoisse diminue. 

La Nature est devenue hybride, “anthropocisée”, à travers les déchets que nous produisons, la présence humaine est désormais visible partout sur terre. Mais les collectes sont plus fréquentes dans les milieux sauvages, comme si les citoyens cherchaient à enlever la marque de l’Homme sur la Nature. Géraldine a pu observer que souvent, lorsqu’une collecte a lieu sur le littoral, la plage est bien nettoyée par les bénévoles mais pas le parking (“ce n’est pas la nature”, “c’est à l’Etat de nettoyer le parking”) alors qu’en fin de course, ces déchets finiront dans l’Océan poussés par le vent et le ruissellement des eaux de pluie. 

Notre rapport intime aux déchets est finalement très particulier. A travers la collecte, on s’interroge sur son origine, d’où il vient, comment il s’est retrouvé dans la nature, quelle est son histoire et sa trajectoire. Cela nous pousse à la réflexion sur les objets qui nous entourent. Enfin, lorsqu’il est transformé en oeuvre d’art, le déchet devient un objet ludique. On passe du dégoût à l’intérêt. Ce changement de regard est intéressant car il peut devenir un levier pour sensibiliser à de nouvelles pratiques et à de nouveaux métiers: par exemple, la créativité dans le secteur industriel permet d’imaginer de nouveaux matériaux pour les engins de pêche; de même, des petits objets design ou de mode réalisés à partir de déchets marins incitent les filières à s’organiser autour des chutes industrielles, d’éléments qui jusqu’alors étaient jetés dans l’indifférence. 

Suite aux conférences qu’elle effectue régulièrement à bord de l’Aranui, un cargo de luxe qui fait la traversée Tahiti – Les Marquises, Géraldine a pu observé qu’une fois sensibilisés, les clients se mettent à organiser des collectes de déchets de façon spontanée. 

Géraldine s’est aussi intéressée à ce que les gens ramassent lors de leurs nettoyages. Ils collectent en général ce qui est identifié comme de la pollution. Des petits bouts de fil de nylon, par exemple, ne seront pas forcément ramassés tandis que des algues, pourtant essentielles aux écosystèmes, seront jetées. La sensibilisation est donc essentielle pour rendre les collectes plus efficaces. 

Les “Ghost Nets” sont des engins de pêche, délestés mais la plupart du temps perdus au cours d’intempéries ou suite à des avaries. Il arrive aussi que les filets soient de mauvaise qualité, la fibre se casse, altérée par les UV et le sel. Les pêcheurs et les coopératives maritimes ont bien conscience de ces problématiques : ils essayent de trouver des solutions. Il existe notamment des bonnes pratiques pour éviter les pertes de fils de nylon lors des étapes de ramendage, c’est-à-dire la réparation des filets. Mais il faut savoir que les alèzes et les fils perdus ne proviennent pas que du secteur de la pêche, ils sont aussi issus de la pratique de pêche de loisirs, de plaisance ou encore des filets anti-requins.  


L’art des Ghostnets : une tortue, grandeur nature, entièrement réalisée à partir de filets de pêche perdus et collectés en mer d’Arafura, dans le nord de l’Australie. Copyright: G. Le Roux, 2015.

L’art des Ghost Net est en plein développement partout dans le monde, les techniques utilisées sont multiples et s’inspirent parfois de la vannerie traditionnelle. Ce matériau coloré inspire des artistes de plus en plus nombreux et le marché de l’art des Ghost Net connaît un réel engouement. 

Géraldine Le Roux part très prochainement sur une expédition scientifique dans le Pacifique dédiée à la lutte contre la pollution plastique (Polynésie, Parc National de Rapa Nui – île de Pâques, Ilot Henderson, …) . La spécificité réside dans l’équipage : il sera composé de 12 femmes ayant des profils hétéroclites. Lors de chaque tronçon, comme celui qui va de Rapa Nui à Tahiti, des prélèvements en mer et dans l’air pour identifier les taux de concentration de plastique seront réalisés, et en amont des rencontres avec des professionnels et des membres des communautés locales seront organisées afin d’œuvrer activement contre la pollution marine.


Géraldine devant un filet perdu, échoué sur une plage de la presqu’île de Crozon, lors des grandes tempêtes de 2014. Copyright: S. Boulic, 2014.

Le bateau va traverser les gyres océaniques pour mieux déterminer les taux de concentration de microplastiques. A bord d’un voilier équipé entre autre d’un capteur atmosphérique et d’un filet manta, les femmes de l’équipage vont constituer un échantillonnage et l’étudier à partir d’un protocole scientifique monté par un laboratoire britannique. En tant qu’anthropologue, Géraldine va analyser comment se déploie en mer et à terre ce projet de science participative porté par une équipe entièrement féminine. 

Pour en savoir plus sur l’expédition : http://exxpedition.com/

Image de couverture : ce fil de ramendage est enfoui sur une plage de Bora Bora, à des centaines de milles de toute zone de pêche, illustrant la problématique de la circulation des déchets plastiques.

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